Après d’âpres discussions, le Parlement monocaméral égyptien votait le 30 août dernier un texte de loi touchant à la construction des églises dans un pays où ériger de tels lieux de culte est très souvent un combat perdu d’avance.
Les chrétiens, qui soutiennent le présidence du maréchal Sissi, sont mécontents de la loi, cependant considérée comme un moindre mal, votée à la majorité des deux tiers des 596 députés élus en 2015 dont 27 parlementaires chrétiens - 24 élus via un système de quotas (comme les femmes et les jeunes), et 3 autres grâce à un faible taux de participation et au soutien de certains musulmans.
Les chrétiens égyptiens font contre mauvaise fortune bon cœur, après avoir beaucoup attendu du Président Sissi qui avait mené le coup d’État contre l’islamiste Président Mohamed Morsi, un Frère musulman. Sissi avait multiplié les gestes à l’endroit des chrétiens, une minorité victime de violences, de discriminations et de dénis de justice. Aussi, les chrétiens espéraient que la loi nivelât les différentes situations juridiques concernant l’édification de lieux de culte et être traités à égalité avec leurs compatriotes musulmans. La nouvelle législation facilite l’obtention d’un permis de construire, mais elle pose des critères auxquels ne sont pas soumis les licences relatives aux mosquées.
Toutes dénominations confondues, les chrétiens déplorent l’article 2 de la loi qui encadre la superficie des églises en fonction du nombre de fidèles dans la localité où est demandé le permis. Il s’agit d’une condition négativement discriminatoire par rapport à celles imposées aux musulmans qui veulent bâtir une mosquée. En juillet 2014, le ministère des ministre des Affaires juridiques et parlementaires avait convié les chrétiens à présenter des idées afin d’examiner comment faciliter la construction d’églises, alors même que sous la présidence de Hosni Moubarak, en bons termes avec avec le Patriarche copte Chenouda III, les chrétiens n’obtenaient que très rarement, et au terme d’un parcours du combattant, l’autorisation d’édifier des lieux de culte. De nombreuses localités où vivent des chrétiens étant privées d’église, ceux-ci risquent leurs vies en se rendant dans celles des villages qui en disposent.
Après une rencontre avec le Gouvernement le 17 août dernier, l’Église copte avait rejeté le projet de loi, disant qu’elle « ne s’attendait pas à voir de tels amendements et autres ajouts aussi inacceptables et non pratiques ». Dénonçant le projet comme « un danger pour l’unité nationale de L’Égypte », l’Église copte précisait que les complications et obstacles ajoutés laissaient entendre que ces amendements ne considéraient pas que les chrétiens égyptiens devaient bénéficier des mêmes droits que les autres. Pourtant, le 1er août, le ministre des Affaires juridiques et parlementaires déclarait que les trois principales dénominations chrétiennes avaient accepté le projet, rapportait le quotidien Egypt Independent.
Selon l’Église copte, plusieurs institutions du pays sont infiltrées par des gens qui jurent à Allah de retirer les églises du pays, ce qui pourrait expliquer ces frustrations. Le 24 août, les Coptes dirent accepter la dernière mouture du projet et le représentant de l’Église dans les négociations, Monsef Soliman affirma : « Tout ce que je peux dire, c’est que ce nouveau projet de loi est quelque chose qui fera la fierté de tous les Égyptiens. » Le ministère déclara cependant que le texte n’avait pas été modifié. Le porte-parole des églises évangéliques se réjouit que le Gouvernement eût fait droit à toutes les demandes des trois principales communautés chrétiennes – la copte, la catholique et la protestante -, y compris celles quant aux églises déjà érigées sans permis, ainsi que la requête de pouvoir installer des croix sur les bâtiment de culte.
Ces négociations s’achevaient alors que les chrétiens étaient de plus en plus exaspérés par les attaques régulièrement subies, eux qui avaient placé leurs espoirs en Sissi. Le 19 août, ils lui avaient même adressé une lettre intitulée « Si vous ne pouvez pas tenir vos engagements, démissionnez ! » Mais c’est en partie pour soutenir le Président Sissi que les chrétiens ont accepté ce projet de loi.
Une loi négativement discriminatoire pour les chrétiens mais améliorant leur sort
Désormais, les chrétiens peuvent se prévaloir d’une loi qui rend plus aisée l’obtention d’un permis de construire, même si elle semble inadaptée. Elle se soucie trop des détails purement techniques, selon Mgr Antonios Aziz Mina, évêque copte catholique de Gizeh, ce qui relèverait normalement des décrets, et dispose par exemple que la largeur du bâtiment ne peut représenter plus d’une fois et demie celle de la plus grande des rues qui la bordent. « Une règle applicable certes dans les villes, mais non dans les petits villages » qui fait craindre à Mgr Mina qu’elle ne soit utilisée pour contenir les chrétiens.
Son article 2 peut être retourné contre les chrétiens par des autorités locales malveillantes, et le conditionnement de la superficie des lieux de cultes au nombre de fidèles dans une localité méconnaît la possibilité de croissance de la communauté, par des naissances ou des conversions. Une interprétation extensive pourrait la décrire comme une loi anti-conversion, mais il s’agit d’un texte volontariste au bénéfice des chrétiens. Le député conservateur Evelyne Mata Boutros ne s’y trompe pas quand elle se félicite :
« Cette nouvelle législation offre une procédure administrative simplifiée pour construire des lieux de cultes chrétiens et permet également de régulariser les églises bâties sans autorisation. »
Jusque là, les conditions requises pour obtenir un permis de construire étaient si draconiennes que les chrétiens n’avaient souvent pas d’autre choix que d’en implanter illégalement. Ces églises hors-la-loi seraient au nombre de 2 000 ; les chrétiens se réunissent également dans des bâtiments non prévus pour célébrer des cultes. Depuis 1856, un rescrit impérial, le humyūnī Khatt, plaçait la construction d’églises sous la juridiction du gouvernant ; et s’ajoutait à cette réponse de l’Empereur datant de la souveraineté ottomane sur l’Égypte le décret Azabi de 1934 fixant dix conditions parmi lesquelles toujours l’autorisation du Roi - puis à partir de 1953 du Président de la République -, mais également de toutes sortes d’administrations, même celle du ministère de l’Irrigation et des Chemins de fer.
Il fallait également que la taille de la congrégation justifiât l’édification d’un lieu de culte, tenir compte de la distance entre l’éventuelle église et la mosquée la plus proche ou encore de l’attitude des musulmans locaux face à une autorisation. Et l’attente pouvait être très longue, comme dans le cas d’une église dans la ville de Nubaria qui dut attendre 17 ans et la signature en 2013 du Président Morsi - Frère musulman soucieux de présenter un visage ouvert à l’Occident quand, dans le même temps, il laissait volontiers les islamistes attaquer les églises. Des conditions telles que l’actuelle loi, quoi qu’elle ne mette pas les chrétiens à égalité avec les musulmans, témoigne d’une intention bienveillante à leur égard. C’est davantage l’esprit que la lettre de cette loi qu’il convient de regarder, le Président Sissi essayant de protéger les chrétiens dans un Égypte en ébullition où son pouvoir est contesté et ses promesses économiques lentes à se concrétiser.
Le Président Sissi protecteur des chrétiens par l’action et l’omission ?
Après l’assassinat de 21 coptes, dont 20 égyptiens, en Libye, Abdel Fattah al-Sissi avait réagi en envoyant son aviation bombarder les djihadistes. Le message se voulait clair, un Égyptien était un Égyptien, qu’il fût musulman ou chrétien, son agresseur même musulman ne pouvait rester impuni. Et le Président avait promis l’édification d’une église dans le village d’où étaient issus la majorité des victimes ainsi qu’une rente à vie pour leurs familles, les coptes assassinés travaillant en Libye pour nourrir les leurs. Une attitude qui renforça l’adhésion générale des chrétiens à sa politique.
Sissi est le premier chef d’État égyptien à se rendre à la messe de Noël pour saluer ses compatriotes chrétiens, qui plus est pour insister à la télévision sur leur appartenance au peuple égyptien. C’est l’occasion pour lui d’être acclamé par les fidèles qui lui déclarent leur amour. Le Président égyptien est même allé jusqu’à demander devant les dignitaires religieux de l’université al-Azhar, la plus prestigieuse du monde sunnite, une relecture de l’islam et qu’il soit expurgé des éléments appelant au meurtre des non-musulmans. Une requête très risquée, d’autant que l’État islamique a mis sa tête à prix. Le 7 mai 2015, l’Égypte, se rapprochant de l’ennemi éthiopien, a même sauvé 27 chrétiens ressortissants de ce pays qui avaient été capturés par les islamistes en Libye. Mais, malgré la meilleure volonté du monde, il serait impossible au seul Raïs de changer structurellement les mentalités.
Pour l’écrivain copte Kamal Zakher, un militant copte membre de l’ONG Les Égyptiens contre la discrimination religieuse, l’exercice du pouvoir soustrait à Sissi la possibilité de se justifier sérieusement :
« Certes le gouvernement a pris une décision assez compréhensible pour ménager les islamistes et les salafistes qui n’auraient pas manqué de dénoncer une loi contraire à l’islam, mais, en fin de compte, c’est tout de même bien ce gouvernement qui décide et fait voter cette loi. »
Cependant, ce serait faire crédit au Président d’un immense et minutieux pouvoir dont il ne dispose pas ; ce serait assimiler ses compétences présidentielles à celle des dictateurs Napoléon et Hitler qui, en plus de disposer d’une intelligence nettement supérieure, centralisaient tout le pouvoir décisionnel et n’étaient que peu contestés, encore moins ouvertement. Et ce serait oublier l’impossibilité de contrôler les réactions des musulmans fanatisés.
Sissi est confronté à divers problèmes liés certes à son autoritarisme, mais un autoritarisme qui, s’il est contestable, a permis de sauver l’Égypte du chaos et la sécurise encore au mieux face aux attaques des Frères musulmans. Les journalistes contestent sa poigne car il réduit les libertés, les islamistes le considèrent comme juif, et même l’ancien président Morsi parlait du « juif Sissi ». L’homme ne recule pas devant le culte de la personnalité, celui du sauveur de l’Égypte face aux Frères musulmans qui l’avaient traumatisée, une façon d’asseoir son pouvoir pour mieux entreprendre ses réformes. Et sa proximité avec Israël est très mal vue dans un pays où la haine du juif est consubstantielle à la vision du monde, ce déjà avant l’existence de l’État hébreu.
En mai 2015, un journaliste égyptien désireux de faire changer les mentalités, s’était déguisé en juif et avait subi des agressions dans la rue ; le 12 août dernier, un judoka égyptien avait refusé de saluer son adversaire israélien qui l’avait battu, lors des J.O. de Rio, avant d’y être contraint par l’arbitre et renvoyé chez lui par la délégation égyptienne, et l’Égypte avait réagi en envoyant une lettre de félicitations à Israël, lettre qu’a relayée le Parti Liberté et Justice des Frères musulmans pour appuyer leur contestation de Sissi. C’est donc en eaux dangereuses que navigue un Sissi qui, ne veut pas être accusé, qui plus est faussement, de favoriser les chrétiens et soutenir Israël au détriment des musulmans qui représentent plus de 90% de la population.
Lorsqu’il promit de faire construire une église sur les deniers de l’État dans le village d’al Awwar d’où étaient originaires 13 des 21 Coptes égorgés par l’État islamique en Libye, Sissi ne se doutait peut-être pas que la sympathie des musulmans pour leurs compatriotes n’irait pas jusques à l’acceptation d’un tel lieu de culte. Les islamistes caillassèrent les fondations du bâtiment au motif qu’il y avait déjà une église dans la localité et exigèrent que l’église ne soit ni érigée dans le village ni prolongée par un clocher. Et alors que les bruits de construction d’églises couraient dans le gouvernorat d’al-Minya en mai dernier, les islamistes y incendièrent une église, comme en 2013. Sur fond de préparation de ce projet de loi, 10 attaques contre les chrétiens furent recensées dans le pays entre le 29 mai et le 17 juin derniers. Confronté à ces obstacles, le Président Sissi sait que qui veut trop bien faire peut mal faire.
S’il a atténué sa demande d’un changement de l’islam, se contentant non plus d’appeler à une « révolution » mais à des « rectifications », et de moins en moins souvent, faute d’avoir pu convaincre l’Université al-Azhar, il y a tout lieu de douter que le Président égyptien ait changé d’idée. Son discours devant ladite université est un modèle d’esprit critique puisqu’il appelle à penser hors de soi, ce qui implique de se décentrer et se mettre à la place des autres, notamment des chrétiens :
« Vous ne pouvez pas voir les choses avec clarté quand vous êtes enfermés (dans cette idéologie), vous devez en sortir et regarder de l’extérieur [...] Laissez-moi le dire encore, nous avons besoin de changer radicalement notre religion ! »
Deux ans plus tard, pour MEMRI, l’Institut de recherche des médias du Moyen-Orient, il y a lieu de se demander si l’apparente approbation de son discours par une partie du public ne relevait pas d’un calcul, pour que Sissi réalise, le temps passant, que rien ne changerait malgré les sourires, car l’Université enseigne toujours qu’il faut interdire les églises et dénonce toujours comme hérétique quiconque ne professe pas un islam jugé orthodoxe.
Si les chrétiens égyptiens sont plus que déçus par cette loi, ils ne doivent pas oublier que le Président Sissi agit dans la mesure du possible en leur faveur. C’est ce que souligne Mgr Kyrillos William, évêque copte-catholique d’Assiout, en Haute-Égypte qui vante les intentions du Raïs quant aux chrétiens :
“Il y a de la corruption dans tous les ministères… on découvre tous les jours des scandales. Le président Al-Sissi, qui est très loyal, est entouré d’hommes de l’ancien régime: il doit souvent nager à contre-courant ! L’unité du peuple égyptien lui tient à cœur. Il affirme haut et fort que tous sont égaux. Les chrétiens voient un grand changement. Le président n’a pas peur d’être critiqué pour cette raison par les intégristes musulmans”.
Le chercheur égyptien associé à la Chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, Tewfik Aclimandos, voit une vraie différence d’approche avec « le régime Moubarak « qui était surtout soucieux d’éteindre les incendies, mais qui acceptait ce faisant de garantir l’impunité des assaillants (quand ils étaient musulmans) », car, si « cela ressemble à cela, « une différence est importante et risque d’être sous estimée par les acteurs : le président, les hauts responsables et une importante proportion de musulmans pensent que la recrudescence de ces incidents est une manœuvre islamiste et qu’elle souligne l’urgence d’une « guerre culturelle » contre les « ennemis de la notion de citoyenneté » – mais ils craignent l’utilisation par les islamistes d’un de leurs arguments favoris « ce régime guerroie les vrais musulmans pour le compte de croisés ».
L’esprit de cette loi sur la construction d’église n’ignore pas le contexte dans lequel vivent les chrétiens, il le prend justement en compte en élargissant leurs droits mais en évitant de trop les mettre en danger pour leurs droits. Et il fait des chrétiens des justiciables admis à protester. Ainsi, le texte dispose que quatre mois de silence après le dépôt de la demande valent acceptation. Certes, ceux qui s’y opposent se hâteront peut-être d’opposer un refus, mais la loi donne la possibilité aux chrétiens de déposer un recours devant le Conseil d’État en cas de refus d’octroi d’un permis. Reconnaître un droit à recourir à la justice, c’est reconnaître l’individu concerné.
Il y a dans la Bible une histoire se déroulant en Égypte, celle d’un prince qui, furieux devant l’injustice des coups portés à un esclave par un Égyptien, tue ce dernier avant d’être contraint à la fuite sans avoir rien arrangé à la situation des esclaves, au contraire. Al-Sissi n’est pas l’Ivan Karamazov de Dostoïevski capable d’envisager des solutions extrêmes pour apaiser les souffrances dans le monde. Appliquer sa morale individuelle, favorable aux chrétiens, dans la conduite des affaires de l’État, sans tenir compte des conséquences encore pires sur les chrétiens, serait irresponsable. Sissi le sait, qui exhorte ses coreligionnaires à la pensée critique, en l’occurrence penser contre soi, hors de soi.
Hans-Søren Dag
Photo : Église chrétienne à Charm el-Cheikh